Il y a quelque temps, j’avais le projet d’un livre qui allierait textes et photos. J’avais donc écrit quelques textes. J’ai toujours dans l’idée de les publier, mais le projet n’est pas terminé. Je vous propose ici l’un de ces textes. C’est bien différent de ce que j’ai publié sur ce blog jusqu’ici, mais je me suis dit que cela pourrait peut-être vous intéresser 🙂 🙂 🙂 . D’autant plus que le sujet est d’actualité. Comme d’habitude, je vous invite à réagir en commentaire. Bonne lecture.
Une histoire
La moiteur de la nuit avait quelque chose de délicieux. Un vieil homme, confortablement assis sur la plage, alimentait un léger feu. Il y jetait un brandon de temps en temps afin de maintenir la luminosité ambiante. À chaque ajout, quelques petites braises virevoltaient dans l’air en un ultime scintillement. Hypnotisé par les flammes dansantes devant son regard, sa pensée vagabondait.
Dans la pénombre, à quelques mètres, son petit fils âgé d’une dizaine d’années se tenait debout. Immobile, il fixait la mer avec intensité. Après un long moment, l’enfant vint s’asseoir à la lumière du feu. Il plongea ses doigts dans le sable tout en fredonnant une chanson à la mode, ses mouvements subtils et gracieux semblaient donner vie à ce fluide minéral.
« Grand-père ? Je peux te poser une question ?
— Bien sûr mon petit qu’y a-t-il ?
— À quoi ça sert tout ça ?
— Que veux-tu dire ?
— Ben je ne sais pas, pourquoi on est là ? À quoi on sert ? »
A dix ans, on se pose souvent des questions existentielles que nous, adultes, avons éludé il y a bien longtemps. Le vieux se gratta la tête. Il sortit une pipe de sa poche, une blague à tabac puis commença à s’affairer. Il marmonna d’incompréhensibles murmures. L’enfant resta impassible, le regard fixe et interrogatif. Finalement, l’homme se sentait plutôt d’humeur volubile et envisagea donc de répondre :
« Je crois comprendre ce que tu veux dire. Sache que personne n’a vraiment de réponse à cette question. Si tu veux bien m’écouter, je peux essayer de te conter ce que je sais. Enfin ce que je crois savoir. »
L’enfant acquiesça.
Le papy sortit un vieux briquet du fond de sa poche. Il l’alluma d’un claquement de doigts et embrasa le tabac de sa pipe. Il tira une grande bouffée comme si cela allait l’aider à trouver l’inspiration. Il eut un doute sur la manière d’aborder son histoire. Il y réfléchit un peu en expirant quelques volutes de fumée, puis il finit par dire :
« Au commencement il n’y avait rien, ni vie, ni matière. Juste un grand vide. Puis on ne sait pas trop comment, il y a eu une grande explosion. »
— Si il n’y avait rien, comment est ce que ça a pu exploser ?
— Euh… je ne sais pas trop. Enfin il devait y avoir des particules, des atomes…
— Ah, alors il y avait des choses quand même. C’est quoi des atomes ?
— C’est ce qui compose la matière… Euh, bon ce n’était peut-être pas des atomes… » Il s’aperçut de son ignorance, mais il ne voulait pas perdre la face devant son petit fils. Il reprit :
« Ce n’est pas vraiment le plus important. Hum… Ce qu’il faut retenir, c’est que c’est à partir de cette gigantesque explosion que tout a été créé. Tout ce que tu peux voir autour de toi et bien plus. Les étoiles et l’univers entier proviennent de cette unique explosion. Au début, les choses n’étaient pas très stables, mais petit à petit ça c’est calmé. La roche a commencé à s’agglomérer pour former des astres. Certains devinrent des planètes et c’est ainsi qu’a été créée la Terre sur laquelle nous vivons. Tu comprends ?»
— Je crois que j’ai un peu du mal, mais c’est pas le plus important hein Papy.
— Oui ! Il éclata de rire. Il reprit quelques bouffées de sa pipe et continua :
« Au départ, sur la terre il n’y avait que de la roche. Ça devait ressembler un peu à la lune.” Il leva la tête vers l’astre, presque plein, qui diffusait une douce lumière. L’enfant fit de même, fasciné par cette révélation.
« Mais alors Papy, comment ça c’est passé après ? »
– Et bien, là encore je crois que personne n’en est vraiment sûr. Certains pensent que toute l’eau qui s’est accumulée sur notre planète provient des météorites.
— Hein? Le gosse avait un air ahuri, il semblait complètement perdu. Le vieux pensait en savoir un peu plus sur ce sujet alors il s’aventura à donner une explication :
“ L’eau est composée de deux éléments. Sais-tu lesquels?
— Non
Il dit alors fièrement : “ De l’hydrogène et de l’oxygène et plus précisément deux atomes d’hydrogène pour un atome d’oxygène ce qui donne H2O ”. Il prit un air satisfait et tapota la tête de sa pipe contre un caillou afin de la vider de son tabac, entièrement consumé. Le garçon dit alors :
“Dans toute la mer, il n’y a que deux atomes d’hydrogène et un seul atome d’oxygène ?”
Le vieux sourit. “Mais non… Il y en a des milliards. Ce sont des molécules. Les éléments qui les composent étaient probablement contenus dans les météorites qui se sont écrasées sur la terre.”
– Whaou, des milliards de molécules… L’enfant regarda la mer avec étonnement.
“C’est fondamental, tu sais. Sans l’eau, il n’y aurait rien eu d’autre. Après les choses se calmèrent et il ne se passa rien pendant très longtemps.
– Rien du tout ?
– Non je ne crois pas…
– Pendant combien de temps ?
– Bien plus de temps que je ne pourrai te dire. Bien plus que tu ne pourrais compter. Tu dois sûrement penser que je suis vieux. Et bien, il faudrait compter des milliers, ou plutôt des millions de mes vies. Pendant tout ce temps, il ne se passait rien. La mer ondulait inlassablement sous le soleil. Les vagues venaient frapper la terre avec plus ou moins de violence. Elles en arrachaient des fragments. C’est ce qu’elles font toujours ; exactement comme tu peux le voir aujourd’hui. »
Le môme tourna la tête en direction de la mer.
— Et puis il se passa quelque chose que personne ne comprend vraiment. C’est comme si, au bout de tout ce temps, la terre et la mer avaient décidé de s’aimer. Et de leur amour est née la vie. Elle était imperceptible au début, même avec une loupe tu n’aurais pas pu la voir. C’était les premiers êtres vivants.
— À quoi ils ressemblaient ?
— Je ne sais pas. Je pense qu’il s’agissait de minuscules organismes, comme des bactéries tu vois ?» Le gosse hocha la tête.
“ Les bactéries existent toujours, tu sais. Elles sont si petites qu’on ne peut pas les voir.
– Quoi ? Mais si on ne peut pas le voir, ça n’existe pas.
– Tu crois ça toi ? Est-ce que tu vois ta maman au moment où je te parle ?
– Non.
– Pourtant elle existe n’est-ce pas ? Est-ce que tu vois le soleil ?
– Ben non, il fait nuit.
– Pourtant, il existe, tu sais pertinemment que demain il se lèvera et il fera jour. Tu vois donc ce n’est pas parce que tu ne vois pas une chose qu’elle n’existe pas !
– D’accord.
– Voilà !” Le papy se remit à remplir sa pipe avec satisfaction et il reprit le fil de sa pensée :
“ Petit à petit, ces petits organismes se sont spécialisés. Ils se sont mis à coopérer. Ils se sont associés et ont formé des êtres vivants de plus en plus complexes. Au début, il s’agissait de végétaux, des algues comme celles-ci.” Il montra du doigt un tas de matière organique inerte sur la plage. Le môme, curieux de tout, se leva et alla toucher ce qui s’avérait soudainement être un véritable fossile vivant.
“Beurk, c’est tout gluant.” Le vieux fit entendre un rire sonore. Il claqua ses doigts et le feu jaillit à nouveau. La petite flamme éclairait son visage au moment où il rallumait sa pipe. Le môme vint se rasseoir avec la mine un peu dégoûtée. Il interrogea :
“ Ce truc-là c’est vivant ?
– Oui pourquoi penses-tu le contraire ?
– Parce que ça ne bouge pas, c’est juste des algues qui flottent dans l’eau.
– Oui, mais ce n’est pas parce que cela ne bouge pas que ce n’est pas vivant. Les arbres, les plantes et même certains animaux comme les coraux ne peuvent pas se déplacer. Pourtant, ils naissent, se nourrissent, ils grandissent et meurent. Ils ont un commencement et une fin comme nous.
– Ok.
– Et puis d’ailleurs ce n’est pas parce qu’une chose bouge qu’elle est vivante. Penses-tu qu’une voiture est vivante ?
– Ben non, c’est une machine.
– On est d’accord. Et puis au fil du temps, les organismes se sont encore sophistiqués, et les animaux sont apparus.
– Tu veux dire que les animaux viennent des végétaux ?”
Le papy s’aperçut qu’il ne le savait pas vraiment.
“Je ne sais pas !” Avoua-t-il, puis il réfléchit…
“Peut-être ont-ils eu une évolution parallèle à partir des premières bactéries.” Cela lui semblait logique.
L’enfant réfléchit : “Mais alors les animaux et les algues viennent des mêmes bactéries ?”
– Probablement… je crois que c’est ça oui” lui-même prenait conscience de cette possibilité surprenante. Il reprit : “Progressivement, les animaux se sont développés et ont pris des formes différentes, comme les méduses, les pieuvres, les escargots, les poissons…
– Les baleines aussi !” dit fièrement l’enfant.
“Non pas tout de suite”, dit le Papy.
“Pourquoi, les baleines vivent bien dans l’eau quand même.
– Oui mon petit, mais elles y sont arrivées bien après. En réalité, les animaux sont restés très longtemps dans l’eau, mais ils ont fini par en sortir. Les plantes avaient d’ailleurs fait cela en premier et préparées le terrain. Ce sont elles qui ont d’abord peuplé la terre. Et puis, quand toutes les conditions étaient propices, la vie animale a aussi émergée.
– Tu veux dire que tout était prévu ? Les animaux ont attendu leur tour dans l’eau ?
– Euh non je ne crois pas mon petit. Tu sais c’est la nature, c’est comme ça. Quand les conditions ont été réunies, cela s’est produit. »
L’enfant regardait son grand-père d’un air incrédule. Que dire de plus ? Il prit tira sur sa pipe, inspira profondément et continua donc sur sa lancée.
« D’abord, les animaux sont sortis en rampant, puis ils se sont mis à marcher ils ont même fini par s’envoler. Il y en a eu de toute sorte. Certains animaux ont eu leur période de domination. Il y a eu les insectes, les dinosaures, tu les connais certainement.
– Ah oui Papy, eux je les connais bien, ils étaient très grands et il y avait le tyrannosaure avec ses grandes dents.
– Quand les dinosaures ont disparus et bien…”
Le gosse l’interrompit :
“Papy tu sais comment les dinosaures ont disparu ?” Le vieux avait en effet une idée assez précise de cette extinction, mais il ne voulut pas se priver d’une nouvelle explication : “Non je ne sais plus bien.
– Tu ne sais pas ?” L’enfant se délectait de connaître une chose que son grand-père ignorait, il poursuivit.
“Je vais t’expliquer alors, parce que je l’ai appris à l’école. Et bien les dinosaures étaient devenus très très grands et il y en avait de toutes les sortes. Il y avait ceux qui mangeaient des feuilles et ceux qui mangeaient d’autres dinosaures. Et puis un jour, il y a eu comme un gros rocher qui est tombé sur la terre. Ça a fait comme une bombe tu vois. Les dinosaures à côté de l’explosion sont morts tout de suite, ils ont été atomisés BAOUM… et puis en tombant le rocher a soulevé de la poussière, beaucoup beaucoup de poussière. Et du coup on ne voyait plus le soleil. Et du coup, eh ben les plantes et les arbres n’arrivaient plus à pousser et…”
L’enfant, un peu essoufflé reprit sa respiration. Le vieux le regardait tendrement en fumant sa pipe, un petit sourire en coin.
“…Et puis, et bien les dinosaures qui mangeaient des feuilles, ils n’avaient plus rien à manger, et du coup ils ont disparu. Et puis, les dinosaures qui mangeaient les autres dinosaures n’avaient plus rien à manger puisque les dinosaures qui mangeaient des feuilles ont disparu. Et c’est comme ça que les dinosaures ont disparu. Tu as compris Papy?
– Oui je crois. Merci pour l’explication c’était très intéressant.
Le gosse était fier, il gonfla inconsciemment ses poumons. Que ce moment était précieux pour le papy. Il était tard à présent et la fraîcheur se faisait un peu sentir. Il porta la pipe à sa bouche et positionna ses mains proches du feu pour se réchauffer un peu. Le môme observant cela en fit de même. Le regard du grand-père se posa une nouvelle sur les petites flammes. Il se pencha, attrapa quelques bouts de bois et les jeta les uns après les autres dans le foyer. L’enfant rompit le silence : “Alors Papy !
– Quoi ?
– Ben qu’est-ce qui c’est passé après ? Elle est finie ton histoire ?
– Heu… non, où en étais-je ? Ah oui, les dinosaures. Et bien quand ils ont disparu, d’autres animaux ont pris la place. Il s’agissait des mammifères. D’ailleurs, c’est l’un d’entre eux, qui ressemblait vaguement à un chien, qui a choisi de retourner dans l’eau. Petit à petit, son corps s’est modifié, il a grandi jusqu’à donner les baleines dont tu parlais tout à l’heure.
– Quoi ?” Le gosse était estomaqué. “Tu veux dire que les baleines viennent des chiens ?
– Non je te dis que les baleines ont un ancêtre poilu qui marchait à quatre pattes.
– Wow.” Cette révélation avait fait son effet. “ Oui tu sais c’est la théorie de l’évolution, tu ne l’as peut-être pas encore apprise à l’école…?
– Non.
– Et bien euh comment expliquer cela simplement ? Tous les organismes vivants évoluent lentement et finissent par changer. Je viens de te donner l’exemple des baleines, mais il y en a plein d’autres. Tu savais que l’on a un ancêtre commun avec les singes ?
– Un ancêtre commun ?
– Oui, il y a très très longtemps vivait un petit animal, probablement en Afrique. Et les descendants de cet animal ont donné plusieurs branches de primates. Et nous sommes en quelque sorte le résultat de cette longue évolution. Les singes en sont un autre.
– Mais pourquoi ?
– Pardon ?
– Papy, pourquoi cet animal a voulu devenir un singe et un homme à la fois ?
– Euh, ce n’est pas vraiment ça, mais là encore je crois que ce n’est pas si simple à comprendre.” Le gosse réfléchit intensément. “Mais Papy, un homme ce n’est pas un animal ?”
– Ben si enfin euh…l’homme est un homme, mais c’est aussi un animal.
– Pfiouuu, je ne comprends pas tout !
Le vieux se rendit compte que tout ça n’était peut-être pas si évident. Il voulut quand même reprendre. « Je sais que c’est compliqué. Ce qu’il faut que tu retiennes, c’est que l’homme n’était ni l’animal le plus fort, ni le plus grand, ni le plus rapide, mais il était de loin le plus intelligent de tous. Il a réussi à dompter la nature. Il a fabriqué des outils, il a construit des maisons. Mais en faisant tout ça, il a aussi détruit des plantes, des arbres et d’autres animaux.
— On aurait pu faire autrement ?
— Je ne crois pas non. Pour que nous puissions vivre, il faut sans doute détruire la nature, c’est comme ça. Seulement, nous avons oublié d’où nous venons.
— D’une explosion ? » Dis le gosse.
« Oui, et de la mer et de la nature en général. Sans elle nous ne sommes rien, nous ne pouvons pas vivre. Même si on peut la transformer, c’est elle qui nous donne de quoi manger, de quoi nous abriter. Nous sommes peut-être les animaux les plus intelligents, mais nous sommes aussi les plus cruels, nous devrions respecter ce qui nous entoure. »
Le papy s’était énervé sans s’en rendre compte. Il chercha machinalement son briquet dans sa poche. « Ça veut dire quoi respecter ?
— Ça veut dire que les autres ont le droit d’exister aussi, les hommes, les animaux, les plantes, et si on doit détruire pour survivre, il faut éviter de faire souffrir, il ne faut prendre que ce dont on a besoin, pas plus.
— Pourquoi prendre plus si on n’en a pas besoin ?
— C’est une bonne question mon petit… une bonne question… À force de ne pas respecter la nature, l’homme la détruit petit à petit. S’il ne fait rien, il ne pourra plus vivre, on ne pourra plus vivre. »
Le vieux resta pensif à regarder le feu.
L’enfant avait changé d’attitude ; il tourna le regard vers la mer, mais il la regardait différemment, avec de la reconnaissance. Il savait à présent qu’il était en lien avec elle. Cela le réjouissait.
Le crépitement du foyer était rythmé par le son des vagues venant s’alanguir sur la grève. Portés par quelques brises aléatoires, des parfums de sève de pins et d’eucalyptus se faisaient alternativement sentir.
Le gosse finit par rompre le silence :
« D’accord papy, mais ça ne répond pas à ma question.
— Quelle question ?
— Ben, à quoi ça sert tout ça ?
L’ancêtre soupira
— C’est vrai, mais je te l’ai dit : cette question, personne ne peut y répondre vraiment. Il faudrait sans doute demander à dieu.
— C’est quoi Dieu ? »
Le vieux fit claquer ses doigts sur son antique briquet, il ralluma sa pipe et tira une grande bouffée.
« Ça, c’est une autre histoire mon petit, une bien longue histoire… »
Très belle histoire, Denis et très belles photos aussi dont certaines ne m’étaient pas inconnues 😉
Il m’arrive souvent d’avoir des idées de photos sur de courts textes que modestement j’écris à mes heures perdues, mais je n’ai pas encore sauté le pas pour les réaliser. Peut-être devrais-je déjà dessiner mes idées pour m’aider lors du shooting.
Bonjour Corinne, merci pour ta réaction.
Pour ma part, ce sont les images qui m’inspirent les textes. Mais la démarche inverse semble assez logique 🙂 🙂 🙂
Conceptualiser ces images avant de les réaliser (mentalement ou en dessin) permet bien souvent d’obtenir de bons résultats. De plus, tes photos seront certainement plus en interaction avec le texte.