La célébrité est-elle le but absolu en photographie ? Je ne le crois pas du tout. L’objectif de la plupart d’entre nous est de s’amuser, de produire de belles images ou plus simplement de garder des souvenirs. De plus, la très grande majorité des photographes professionnels sont totalement inconnus du grand public. Ils réalisent des reportages pour des entreprises, pour la publicité ou encore dans le cadre de mariages et gagnent très bien leur vie.

En revanche, lorsqu’un photographe a une prétention plus artistique, qu’il souhaite être exposé, vendre des tirages, être publié dans les magazines…etc. Bref, lorsqu’il veut gagner de l’argent avec sa créativité et son art, la célébrité, ou plus simplement la reconnaissance de son travail, est probablement un passage obligé.

Avant l’émergence d’internet et des réseaux sociaux, être reconnu en tant que photographe passait par la réalisation d’exposition. Les lieux étaient importants, il s’agissait de capter l’attention des critiques et la provocation, ou le fait de présenter quelque chose de nouveau était important. Pour exemple, à une époque où tous les grands maîtres ne réalisaient que des images en noir et blanc, le simple fait de tirer ses photos en couleur était audacieux. Certains étaient même choqués par cette innovation.

Aujourd’hui, il me semble que pour devenir un artiste reconnu, il existe de nombreux chemins. Il reste évidemment la voie classique de tenter de se faire repérer lors d’expositions prestigieuses organisées par et pour des galeristes. À mon sens, ce parcours classique est (et a toujours été) un peu snob. En connaissant les bonnes personnes, ce chemin parait plus simple à parcourir. Il y a aussi la voie des concours photo. Ceux qui en gagnent le plus sont considérés comme les plus talentueux. Mais si vous n’en gagnez aucun, êtes-vous un mauvais photographe ? Et puis il y a la voie des réseaux sociaux, ouverts au plus grand nombre sans critère de sélection.

Récemment, je me suis mis en quête des comptes Instagram de quelques maîtres de la photo. Ceux que j’admire et que je respecte le plus. Si certains sont morts depuis longtemps, j’ai trouvé d’autres artistes, qui bien qu’ayant un âge certain, sont toujours en vie.

En parcourant leur compte donc, je me suis assez rapidement posé une question : Seraient-ils devenus célèbres s’ils étaient inconnus et n’avaient que pour seul médium les réseaux sociaux ? Comment ces photographes auraient réussi à percer avec les outils de communication actuels ? Les réseaux sociaux et internet ont changé la façon dont les gens découvrent et apprécient la photographie, et il est probablement devenu beaucoup plus difficile pour les photographes de se faire remarquer dans un marché saturé.

En effet, il y a aujourd’hui beaucoup plus de photographes professionnels et amateurs qu’au cours du XXe siècle, et la concurrence est donc beaucoup plus forte. Les réseaux sociaux tels qu’Instagram et Facebook ont également permis à des milliers de personnes de partager leurs photos avec un public mondial. Dans ce flow ininterrompu, comment repérer les artistes les plus talentueux ?

De plus, les critères de sélection des œuvres et des artistes ont évolué, la diversité des genres photographiques est plus importante et les attentes des publics sont différentes. Les grands photographes du XXe siècle, qui ont souvent travaillé dans des styles très particuliers, auraient peut-être eu du mal à s’adapter à ces nouvelles tendances.

On doit aussi souligner que les réseaux sociaux ont engendrés plus de difficulté pour les photographes pour vendre leur travail. Avec la mise à disposition gratuite de milliers de photos de qualité sur internet, les gens sont moins enclins à acheter des tirages, ce qui rend la vie professionnelle des photographes plus difficile.

Lorsque je regarde les comptes Instagram de certains photographes mythiques, je me dis qu’ils auraient peut-être leur chance, si inconnu, ils se lançaient sur la plateforme. Je pense qu’un Mickael Kenna par exemple correspond bien à l’esthétisme de notre temps avec ses noirs et blancs iconiques. Je suis d’ailleurs étonné qu’il n’ait « que » 50 000 abonnés.

Le grand Mickael Kenna

Je pense aussi que paradoxalement William Eggleston pourrait aussi tirer son épingle du jeu. Je dis paradoxalement, car ses clichés (contrairement à ceux de Kenna) ont tendance à beaucoup diviser. Ce dernier n’est pas vraiment sur Insta, mais une fan page nous montre l’étendue de son talent.

Une « fan page » de William Eggleston

En revanche, deux autres photographes me laissent bien plus perplexe. Le premier est Stephen Shore. Cet artiste est une véritable légende de la photographie. C’est l’un des pionniers de la photo couleur. Il a notamment photographié des paysages de l’Amérique profonde. Souvent dans ses images, les scènes semblent inhabitées. Sur son compte Instagram, on y découvre certains clichés qui peuvent être dans la droite lignée de ce qu’il faisait plus jeune, mais d’autres sont (pour moi) moins pertinents. Si on me les montrait sans savoir qui est l’auteur, je penserai peut-être qu’il s’agit des photos d’un amateur. S. Shore a environ 210 000 abonnés (ce qui n’est rien pour une influenceuse, mais énorme pour un photographe 😝) et à mon avis cette notoriété provient surtout de sa gloire passée. Shore a été en lutte permanente contre la photographie esthétisante comme celle d’Ansel Adams par exemple. Pour lui, tout mérite d’être photographié. Mais son compte Instagram aurait-il été populaire sans son succès datant du siècle dernier ?

Extrait du compte Instagram de Stephen Shore

Pour moi, le même constat peut être fait de Joel Meyerowtitz immense photographe de rue qui doit certainement ses 370000 abonnés à sa place dans l’histoire. Cet artiste a longtemps eut beaucoup de succès en tant que photographe de rue. Néanmoins, son travail le plus célèbre a été consacré à la catastrophe du 11 septembre 2001 puisqu’il a été l’un des seuls accrédité à couvrir l’attentat. Cela a contribué à le faire entrer dans l’histoire de la photo.

Extrait du compte Instagram de Joël Meyerowtiz
Les décombres des twin towers (copyright J. Meyerowitz)

On constate aussi que les artistes qui sont restés dans l’histoire sont souvent des photographes de rue. Je pense que la raison principale est qu’ils ont témoigné d’une époque révolue. Leur succès est d’ailleurs fréquemment un peu différé. Ils sont devenus célèbres, car ils ont marqué l’histoire de la photographie en utilisant la couleur à une époque ou la plupart des clichés étaient en noir et blanc ou en photographiant des sujets qui n’étaient pas traités auparavant par exemple.

Aujourd’hui, cette audace est plus délicate puisqu’il semble que tout est possible.

Pour moi, deux questions se posent :

  • Est-ce-Instagram donne vraiment de la visibilité aux photographes ? (je parle de photographes, pas d’influenceurs)

Je pense qu’il est possible de toucher un public très large en utilisant les réseaux sociaux lorsqu’on est photographe. Cependant, on constate que cet outil est plus efficace lorsqu’on est humoriste, qu’on montre son corps sous toutes les coutures ou que l’on scénarise sa vie. D’ailleurs, j’ai l’impression que les réseaux sociaux sont de plus en plus orientés vers les vidéos que vers la photographie.

En ce qui concerne la photographie de rue, certains artistes ont percé grâce à Instagram : j’aime beaucoup Sixstreetunder, Joshjack ou Arnaud Montagard.

  • Que faut-il faire pour avoir du succès sur les réseaux sociaux ?

Est-ce qu’avoir du talent suffit ? Non malheureusement. Ce constat était vrai avant internet et c’est aussi le cas aujourd’hui. Il est évident que les images les plus spectaculaires sont les plus likés. Les utilisateurs font défiler les images très rapidement, et c’est uniquement lorsqu’ils sont interpellés par l’une d’entre elle qu’ils s’y attardent. Pour exemple, Vincent Munier dont je suis un grand admirateur n’a « que 110 000 abonnés » malgré son immense célébrité. Cela s’explique par un probable désintérêt de l’artiste pour cet outil, car je pense qu’il ne gère même pas lui-même son compte. Mais je pense aussi que ses images sont assez subtiles et leur poésie n’est pas toujours immédiatement accessible en première lecture. Pour comparaison, Michele Bavassano, dont les images animalières sont hyper spectaculaires et qui se met très régulièrement en scène à travers des clichés ou des stories, cumul 900 000 abonnés !

La réponse à ma question initiale est donc multiple : Les grands maîtres de la photo seraient-ils devenus célèbres avec instagram ? Je pense que s’ils avaient fait les mêmes photos, ils seraient probablement restés dans l’ombre. Néanmoins, leur talent leur aurait sans doute permis d’observer le monde actuel avec un œil neuf et ils se seraient sûrement adaptés à leur époque et donc, aux réseaux sociaux.

2 commentaires

  1. En tout cas, pour moi passionné de photo, je visite pas mal de sites de photographes, mais je ne mets JAMAIS les pieds sur Instagram (ni sur aucun « rézosocio ».

    1. Author

      C’est très bien comme ça Frank,
      Chacun est libre 😃
      Dans les rézosicio, il y a du mauvais, mais il y a aussi du bon parfois

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