Au fil du temps, il m’est plusieurs fois arrivé de lire qu’il fallait éviter de s’intéresser de trop près au travail d’autres artistes. Selon certains, cela aurait pour effet de trop nous influencer et de perdre notre identité créative.
Je pense le contraire. Dans tous les cas, nous sommes entourés d’arts visuels (photographie, peinture, cinéma, sculpture) abondamment présents dans notre quotidien. Partant de ce constat, vouloir éviter qu’ils nous influencent serait une pure illusion.
Pourquoi donc refuser l’importance d’autres artistes ?
Je vous propose donc d’essayer de s’inspirer les styles de certains photographes. Cet entraînement permet de tenter de comprendre comment ils les ont élaborés, mais il nous pousse également à réfléchir d’une manière différente de la vôtre.
L’un de mes photographes préféré est Alex Webb. C’est un photographe américain né en 1952. Il intègre l’agence Magnum à seulement 24 ans. Au départ, il utilise le noir et blanc, mais se tourne vers la couleur à l’occasion d’un voyage au Mexique. Ce pays le suivra tout au long de sa carrière. Il a réalisé de nombreux reportages sur le thème de la frontière, notamment celle qui sépare le Mexique des États-Unis. Il aime le voyage et a beaucoup travaillé dans les Caraïbes et en Amérique latine. Son travail a été mondialement exposé et récompensé.
Voici trois clichés parmi les plus célèbres de l’artiste :
Son style :
- L’intention primaire est certainement documentaire. C’est un reporter-photographe qui souhaite témoigner de ce qu’il observe.
- Le thème général : son travail est centré sur la mise en lumière de la diversité culturelle que l’on peut rencontrer si l’on se donne la peine de voyager un peu.
- Les sujets : Les sujets sont les personnes qu’il croise dans diverses situations. 90 % de ses clichés sont des scènes rues montrant des hommes, des femmes et des enfants.
- Mise en scène : Aucun cliché n’est mis en scène. Pour Alex Webb la seule manière de faire de la photographie de rue est de marcher et d’attendre que quelque chose se passe.
- Compositions : la marque de fabrique d’Alex Webb est le recours à des compositions très complexes. Il aime remplir le cadre et utiliser une multitude de plans sur ses clichés. Il n’hésite pas à couper des visages en bordure de cadre afin d’obtenir plus de dynamisme. Webb n’est définitivement pas un adepte des cadrages classiques.
- Parti-pris : je pense que son parti-pris est avant tout graphique. Ils souhaitent nous offrir sa vision du monde, mais elle est intimement liée à son utilisation du cadre et à une esthétique bien identifiable.
- La lumière : il utilise systématiquement la lumière ambiante. Dans les pays dans lesquels il voyage, celle-ci est souvent très forte. De fait, ses images sont généralement très contrastées avec des ombres bien marquées.
- Les outils : il semble affectionner les Leica M dans la pure tradition des photographes de rue. Certaines photos le montrent cependant avec un reflex numérique plein format. Il a récemment participé au projet « HOME » sponsorisé par Fujifilm.
- Editing : lors d’une interview, j’ai entendu Alex Webb dire que lorsqu’il triait ses images, il y avait 99,9 % de déchets. Si c’est le cas pour ce photographe si talentueux, cette déclaration a le mérite de nous rassurer lorsque nous revenons d’une sortie photo sans être pleinement satisfaits de ce que nous avons fait. Cela nous montre également à quel point il est important de sélectionner ses images avec intransigeance.
- Post-traitement : Il travaille en couleur depuis la fin des années 1970. Ces dernières sont souvent très vives, et participent pleinement à la composition de l’image.
- Signes distinctifs : le style d’Alex Webb est intimement lié à sa faculté à réaliser des compositions complexes. Son utilisation de la couleur est également remarquable. Il n’utilise jamais l’effet de faible profondeur de champ préférant que tous les plans de l’image soient les plus nets possibles.
Réaliser une image à la manière d’Alex Webb est un exercice extrêmement délicat. De plus, son style est aux antipodes du mien. C’est d’ailleurs ce qui fait le charme de cet exercice. Pour m’inspirer d’Alex Webb j’ai donc recherché la lumière forte d’une journée estivale. Mes pas m’ont conduit vers un parc d’enfants (sujet très traité par Alex Webb). Ce cliché me satisfait en raison de sa composition réalisée sur plusieurs plans, son fort contraste et les teintes de couleurs vives qui semblent se répondre.
Pour moi, cette image est encore plus proche du style d’Alex Webb que la précédente. Le cadre est bien rempli comme il aime le faire. Les plans sont bien marqués et cohérents. La composition est, je pense, assez bien ajustée. Le rouge de l’ombrelle attire immédiatement le regard, on distingue ensuite les mains de la maman avec son smartphone, le bébé, puis le regard est guidé vers un second plan occupé par un papa et son enfant qui s’avance vers les jets d’eau. La lecture se poursuit vers un troisième plan où l’on voit un enfant accompagné d’un jouet s’amuser avec l’eau. Je ne suis pas certain qu’Alex Webb aurait retenu cette image. Il aime que les plans soient encore plus nombreux. Le cadrage, encore plus complexe. Je crois néanmoins que le cliché respecte son style.
Ce que son style a d’inspirant
Je suis certain que personne ne confondrait mes clichés avec les siens, mais se glisser dans la peau d’Alex Webb le temps de quelques prises de vue m’a permis de constater à quel point il accorde de l’intérêt au dynamisme d’une image. Ses photographies nous donnent souvent l’impression qu’elles pourraient se mettre à bouger. Il y a une vraie préoccupation cinématique chez lui. J’ai aussi noté un sens de l’observation très aiguisé. Évidemment, c’est certainement le cas pour 100 % des photographes dignes de ce nom, cependant il pousse l’exercice à son paroxysme. Je comprends pourquoi il revendique le fait d’avoir 99,99 % d’échecs lorsqu’il réalise ses images. Il accorde une telle rigueur à l’arrangement des éléments dans le cadre que cela vire à l’obsession. C’est une grande leçon d’exigence envers soi.