Pour cet article, j’ai l’intention de donner des pistes créatives illustrées à travers l’univers de quelques photographes connus avec également, si vous le permettez, ma modeste participation. Il ne s’agira donc pas de décrire exhaustivement toutes les manières d’aborder l’exercice du paysage.
La vision classique
La première perception que la plupart d’entre nous ont de la photographie de paysage doit certainement beaucoup à Ansel Adams (1902-1984) qui lui-même s’inscrit en filiation avec certains courant picturaux (impressionisme notamment) de la fin du XIXè et du début du XXè s dont il reprend le côté lyrique.
En collaboration avec Fred Archer, Adams inventa le procédé du « Zone system », qui permet de mieux maîtriser l’exposition. Cette innovation des années 1930 autorisait la production de tirages pour lesquels il était possible de choisir précisément les tons de chaque zone du cliché. Mais au-delà de la technique, Adams a marqué les esprits notamment avec ses paysages de l’Ouest américain en noir et blanc dans lesquels il recherchait à représenter la nature originelle, presque inviolée et sublime.
Beaucoup de photographes ont été influencés directement ou indirectement par Ansel Adams.
Je constate cela par exemple lorsque je parcours les paysages les plus « likées » du site 500px. Les utilisateurs de ce réseau social consacrés à la photographie semblent particulièrement apprécier les clichés d’une nature intacte presque édénique avec des lumières travaillées et des compositions dites classiques. Ils ont raison d’ailleurs, car la nature est certainement ce qu’il y a de plus inspirant en ce bas monde.
Le photographe actuel le plus célèbre qui me vient à l’esprit et dont certains paysages me rappellent également le style d’Ansel Adams est Sébastiao Salgado. Je suis conscient que son travail le plus connu n’est pas paysagé, mais lorsqu’il pratique le genre, sa vision en est très esthétisante. Les panoramas que l’on peut admirer dans son livre Genesis en sont de formidables exemples. Salgado est très impliqué dans la lutte pour la préservation de l’environnement. À cet égard, je vous conseille de visionner (si ce n’est pas déjà fait) le film de Wim Wenders : « le sel de la terre » qui dresse le portrait du photographe et son œuvre écologique.
Enfin, les clichés illustrant bon nombre de cartes postales ainsi que les magazines invitant au voyage tels que Géo ou National Geographic sont à mon sens directement influencés par cette vision du paysage. Pour la première catégorie (les cartes postales) on tombe d’ailleurs parfois dans la caricature.
The New Topographics
Le mouvement des « nouveaux topographes » a fait évoluer la perception du paysage. Cette dernière, vous l’aurez certainement deviné, était précédemment largement dominée par un classicisme esthétique dont la figure de proue était Ansel Adams. C’est en 1975 que huit artistes participent à l’exposition « New topographics : Photographs of a Man altered landscape ». Il s’agit de Nicolas Nixon, Lewis Baltz, Robert Adams, Joe Deal, Stephen Shore, Bernd et Hilla Becher, Franck Gholke et Henry WesseL Jr.
Dans cette exposition, les clichés ne présentent pas d’images idéalisées de la nature, mais des paysages de banlieues, de zones industrialisées, de centres commerciaux, de villes en développement. Le thème est l’environnement modifié par l’intervention de l’homme. Dans ce cadre, le mot topographe ne doit pas être assimilé à celui d’arpenteur (celui qui mesure la terre) ,mais plutôt à celui qui décrit précisément un détail dans un lieu donné.
Ces photographes souhaitent témoigner de ce qu’ils voient. Ils veulent adopter un point de vue strictement neutre et souhaitent que leurs images soient les plus fidèles possible de la réalité du moment. Même si la neutralité stricte est certainement impossible à atteindre en photographie, il faut comprendre qu’ils n’utilisent pas d’effet de pose longue, de profondeur de champ ou autre. Les images montrent une réalité à laquelle personne ne prêtait vraiment attention avant eux : des bâtiments industriels, une route, des caravanes, des panneaux, des poteaux.
Stephen Shore (1947) est peut-être le plus connu des nouveaux topographes. Il se démarque de ses compères par l’utilisation de la couleur tandis que les autres sont plus versés dans le noir et blanc. Depuis ses débuts, Shore refuse l’esthétique de son époque et il n’a jamais changé de direction depuis. J’en prends pour témoin son compte instagram sur lequel il poste des clichés de sa vie de tous les jours. Certains vous laisseront probablement circonspect, mais il faut plus les considérer de manière structurelle que symboliques. Stephen Shore est une figure majeure de la photographie contemporaine.
Je souhaitais également m’attarder sur le couple Becher, car leur travail me fascine particulièrement. Je leur ai d’ailleurs consacré un chapitre dans mon dernier livre, « les secrets du style en photographie » en suggérant au lecteur de voir le monde à leur manière. En Allemagne, dans les années 1950, beaucoup de bâtiments ayant fonctionné pendant la révolution industrielle étaient menacés de destruction. Le couple décide de documenter cette destruction programmée le plus objectivement possible et adopte une démarche en filiation directe avec la méthode scientifique. À la manière d’archéologues, ils travaillent en série et collectent des informations sur leurs sujets, y compris les dimensions des bâtiments, les matériaux, les dates de construction. Ils présentent ensuite leurs clichés comme une typologie d’objets.
Le fait de les montrer en série de photos parfois très nombreuses met en lumière les analogies des bâtiments photographiés, mais également (et surtout) leurs différences. Le paradoxe est donc qu’en présentant d’innombrables édifices ayant une même fonction, ils s’individualisent et deviennent uniques. Les photos documentaires des Becher, assez éloignées des processus créatifs classiques, sont devenues des œuvres d’art majeur. Leurs images ne représentent pas la réalité, mais il la sublime. Ils nous exhortent à sortir des sentiers battus et nous montrent que la photo ne se considère pas seulement à la manière d’une icône isolée, mais qu’ensemble, les images peuvent se parler, se répondre et raconter une autre histoire.
L’approche minimaliste
Le minimalisme évoque plus l’esthétique de l’image que les motifs. L’idée est de traiter un paysage pour que la composition soit la plus simple possible. Cela concerne les compositions épurées, mais d’autres solutions sont possibles. Si le sujet vous intéresse, la lecture de mon livre « les secrets de la photo minimaliste » vous donnera toutes les clés pour comprendre et produire ce langage esthétique. De nombreux photographes de paysage ont aujourd’hui adopté ce concept.
Le plus illustre représentant est sans doute Mickael Kenna pour le noir et blanc, mais on peut également citer Mickael Levin, Josef Hofflehner ou Franco Fontana, fantastique photographe italien qui a choisi un chemin plus coloré.
Ma pomme
Si vous suivez un peu mon travail (ce que je vous encourage à faire en vous rendant ici ou là par exemple) vous savez probablement que j’affectionne particulièrement l’esthétique minimaliste. Mais je crois en réalité me situer « avantageusement » au carrefour de l’influence des approches que j’ai évoquées. Je me retrouve en effet dans l’école paysagère classique d’Ansel Adams par une approche esthétisante et contemplative. En outre, les préoccupations anthropiques des nouveaux topographes font directement écho au leitmotiv que je me suis fixé dans mes réflexions photographiques : le rapport entre l’homme et la nature. Cependant, et peut-être contrairement à eux, j’essaie de mettre en avant la complémentarité qu’il peut y avoir entre l’espèce humaine et le monde sauvage, plutôt que de les opposer constamment.
J’espère que ce petit tour d’horizon vous aura ouvert de nouvelles perspectives concernant la photographie de paysage. Vous aurez peut-être découvert des artistes, je vous invite vivement à aller visionner leur travail, car en faisant cela nous enrichissons toujours notre propre perception.
NOTA BENE : si vous en êtes là, c’est que vous avez probablement lu l’article dans son intégralité et je vous en félicite. Vous vous posez alors peut-être la question concernant ce titre aguicheur et en quoi mon propos explique la gloire et la décadence du genre … ? En réalité, j’ai toujours rêvé d’écrire un article avec les mots « gloire et décadence » dans le titre. Voilà qui est fait, je peux rayer ça de ma « to do list », et si vous avez lu cet article dans le but de trouver des photos décadentes (petits coquins), je m’en excuse vivement 😉 .
Salut Denis, et bon retour de vacances alors ! Comme d’habitude, merci pour l’article. Ton dernier commentaire sur les photos décadentes m’a fait penser que tu pourrais écrire un second volet de cet article en prenant comme sujet l’extension de la photographie de paysage et de ces techniques à d’autres sujets. Je pense en particulier au bodylandscape (et là, tu pourras glisser des photos décadentes ;-), à un Arno Rafael Minkkinen par exemple qui mélange les deux, ou à des sujets de macrophotographie qui reprennent aussi ces codes. Bon courage pour ton livre !
Merci pour ton commentaire Mickaël et merci pour tes suggestions 🙂 Dans tous les cas, je pense que le thème du paysage mériterait bien d’autres articles… to be continued
Grand merci pour cet article, l’évocation d’Ansel Adams m’a rappelé le stage fait, il y a de nombreuses années, à l’époque de l’argentique, ce qui m’a permis d’améliorer mes photos. Je m’abonne. merci du partage. J.C.
Merci à toi JC, au plaisir de te discuter avec toi dans l’espace commentaire 🙂