Personnellement, j’adore le flou.
C’est même une part essentielle de mon univers, puisque l’un de mes genres préférés est la photographie rapprochée 🔍. En macro, impossible d’obtenir l’hyperfocale : la profondeur de champ est si courte qu’on joue forcément avec le flou — et on adore ça. ✨
C’est ce qui donne ce rendu si particulier, presque onirique, où le sujet émerge du néant comme un rêve clair au milieu d’un brouillard doux.

En macro, on ne peut éviter le flou de bokeh alors on joue avec.

Mais lorsque je passe à la photo plus classique, c’est une autre histoire. Impossible d’obtenir les mêmes sensations.
J’aime l’esthétique minimaliste, les compositions épurées, les fonds simples, les formes lisibles 🎨. J’ai donc cherché mille façons d’obtenir cette pureté sans forcément recourir au flou.

Bien sûr, la solution la plus évidente serait d’utiliser constamment des téléobjectifs lumineux. C’est d’ailleurs ce que font nombre de photographes animaliers 🦊 pour isoler un oiseau ou un renard sur un fond soyeux.
Mais en pratique, c’est impossible au quotidien — trop lourd, trop cher, trop contraignant.

Alors la question se pose :
👉 le bokeh, c’est quoi au juste ? Peut-on s’en passer ? Et est-ce vraiment nécessaire pour paraître professionnel ?
Voyons cela.


1. Qu’est-ce que le bokeh, au juste ?

Le mot bokeh vient du japonais boke, qui signifie littéralement « flou » ou « confusion ».
En photographie, il désigne la qualité esthétique du flou d’arrière-plan — pas le flou lui-même, mais la façon dont il se manifeste : doux, progressif, crémeux… ou au contraire nerveux, dur, distrayant.

Cette qualité dépend de plusieurs facteurs :

  • la formule optique de l’objectif,
  • le nombre et la forme des lamelles du diaphragme,
  • la distance entre le sujet, le fond et le photographe,
  • et bien sûr, de l’ouverture.

Plus l’ouverture est grande (f/1.2, f/1.4, f/2), plus le fond se dissout.
Et plus le flou devient visible, valorisé — presque un sujet à part entière 🌸.

Avec un objectif tel que le nikon 50 1.2s, la qualité du bokeh est spectaculaire, mais cela a un prix (2400 euros environ)

2. Pourquoi le bokeh plaît tant

Parce qu’il isole le sujet 🎯.
Parce qu’il crée une ambiance douce, une impression de profondeur, un sentiment de raffinement.
Et aussi parce qu’il flatte notre œil : tout devient plus « pro », plus « cher », plus « cinématique » 🎬.

Les optiques lumineuses coûtent souvent une petite fortune 💰. C’est d’ailleurs un signe distinctif des photographes professionnels : leurs images présentent souvent ce flou doux et enveloppant, que les amateurs cherchent à reproduire à tout prix.
D’où la confusion : on pense parfois que le flou fait le pro.

Mais ce n’est qu’une illusion.
Le bokeh ne prouve pas la maîtrise d’un regard, il prouve surtout la luminosité d’un objectif.

Un portrait avec un bokeh prononcé, ça fait pro et c’est beau 🙂

3. Le bokeh, un mirage séduisant

Soyons honnêtes : le bokeh, c’est un peu de la poudre aux yeux.
C’est joli, c’est flatteur, et ça impressionne vite.
Mais trop souvent, il masque le vide.

Un fond parfaitement flou peut dissimuler une composition maladroite ou un sujet sans intérêt. Il donne une impression de qualité — un peu comme un filtre Instagram bien choisi 📱ou une bonne recette fuji (les fameux recipes) —, mais il ne raconte rien.

Sur les réseaux, on voit défiler des milliers de portraits au bokeh parfait… et pourtant un peu interchangeables.
Le flou y devient un artifice, un maquillage visuel qui ne remplace ni la lumière, ni l’émotion, ni l’intention.

Finalement, plus l’optique est lumineuse, plus il est facile d’isoler le sujet, et moins nous avons à nous poser de question. Est-ce-que notre photographie s’en trouve enrichie ? … bonne question.


Les grands photographes n’en ont pas besoin

Regardez les images qui ont marqué l’histoire de la photographie 📸.

Pas seulement les plus anciens, recherchez aussi les plus récents.

Vous ne verrez pratiquement jamais de grands maîtres de la photographie ayant utilisé outrageusement le flou de bokeh. Ils l’utilisent pour certains, mais de manière anecdotique bien souvent.

Vous ne me croyez pas ?

Allez voir les chefs-d’œuvre de Henri Cartier-Bresson, Sebastião Salgado, Joel Meyerowitz, Diane Arbus, Raymond Depardon, Michael Kenna, Todd Hido, Bernard Plossu, Éric Bouvet, Robert Doisneau, Willy Ronis, Saul Leiter, Garry Winogrand, Fan Ho, Alex Webb et Harry Gruyaert.

Ils n’ont rien à voir avec le bokeh.
Ils travaillaient avec des ouvertures modestes, souvent à f/8 ou f/11, et tout — absolument tout — était net.

Henri Cartier-Bresson isolait ses sujets non pas par le flou, mais par la composition.
Chez lui, tout est question de géométrie, d’équilibre, d’instant décisif ⏱️.
Un fond flou aurait cassé la tension graphique de ses images.

FRANCE. Paris. Place de l’Europe. Gare Saint Lazare. 1932. Copyright H. Cartier-Bresson

Sebastião Salgado, lui, compose avec la densité humaine 🤲.
Ses scènes sont pleines, vivantes, texturées. Chaque visage, chaque geste compte. Ce n’est pas un flou qui isole, c’est la lumière qui hiérarchise.

Copyright S. Salgado

Joel Meyerowitz nous emmène dans les rues de New York : un chaos ordonné, débordant de couleurs et de signes.
Il ne cherche pas à faire le vide, mais à trouver du sens dans le désordre.
Le bokeh n’y a pas sa place : il gommerait le monde qu’il veut montrer.

Copyright : Joël Meyerowitz

Et que dire de Diane Arbus, dont les portraits nous transpercent par leur netteté crue ?
Chez elle, tout est frontal, dérangeant, hyperlucide.

Copyright Diane Arbus

Harry Gruyaert, lui, compose avec la couleur 🎨.
Ses images vibrent d’harmonies chromatiques savamment construites, où chaque teinte dialogue avec l’autre.
Il ne cherche pas à effacer le monde derrière le sujet : il le structure par la lumière et la palette.
Chez lui, le fond n’est pas un décor, mais une matière visuelle, une surface active qui équilibre la composition.
Un flou d’arrière-plan n’aurait aucun sens dans son univers : ce qui compte, c’est la tension colorée, l’énergie du réel, la justesse du regard.

BELGIUM. Brussels. 1981. « Rue Royale ». Copyright H. Gruyaert

Ces photographes ont prouvé une chose simple :
👉 l’émotion naît du regard, pas de la profondeur de champ.


Un outil, pas une finalité

Faut-il alors bannir le bokeh ? Bien sûr que non 😅.
C’est un formidable outil. Il permet de diriger le regard, de simplifier une scène, de créer une atmosphère.
Mais comme tout effet, il perd son sens quand il devient systématique.

Un beau bokeh a de la valeur quand il sert une intention :

  • mettre en valeur un visage,
  • souligner la fragilité d’un détail
  • ou simplement évoquer la douceur du moment

Mais vouloir du flou partout, c’est comme vouloir du sel dans tous les plats :
on finit par ne plus sentir que ça.


Voir au-delà du flou

Le bokeh séduit parce qu’il simplifie.
Il efface ce qui gêne, adoucit ce qui distrait, rend tout plus « propre » ✨.
Mais simplifier ne signifie pas effacer. En photographie, simplifier, c’est clarifier : c’est hiérarchiser les plans, choisir ce qui doit être vu et ce qui doit simplement accompagner.

Le fond n’est pas un décor secondaire qu’on doit faire disparaître ; c’est une matière visuelle, une texture de sens.
Bien pensé, il peut renforcer la lecture de l’image, soutenir le sujet, ou même raconter quelque chose de complémentaire.
Dans une photo construite, chaque élément du cadre compte. Un fond lumineux peut devenir une respiration. Une ombre, une tension. Une ligne, un écho graphique.

Composer, c’est donc intégrer le fond, pas le fuir.
Le photographe calcule sa distance, sa focale, son angle pour que le décor participe à l’intention — non pour le réduire à une brume esthétique.
C’est ainsi que naît une image juste : d’un dialogue entre sujet et environnement, entre figure et fond, entre netteté et suggestion.

Le flou peut être beau, mais le regard prémédité l’est davantage 👁️.
Les grandes images ne se distinguent pas par leur flou, mais par leur cohérence visuelle et leur intention lisible 💡.

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