La photographie est souvent perçue comme proche de l’art pictural. Plus qu’une simple capture d’images, elle est pour moi une forme d’expression artistique profonde.

Des grands noms tels que Henri Cartier-Bresson, qui a commencé avec une formation de peintre, ou David LaChapelle montrent bien cette connexion. Pour le duo Pierre et Gilles, cela va encore plus loin. Ils enrichissent parfois leurs clichés avec des touches de peinture, créant ainsi des portraits exceptionnels. En réalité, que cela soit avec un pinceau ou un appareil photo, le processus artistique est similaire : agencer chaque élément dans un cadre pour communiquer une émotion ou une idée précise.

Les clichés de Cartier Bresson sont typiques de compositions très élaborées. Où tout est à sa place.
Pierre et Gilles utilisent la photo, mais pas que.

Il y a une croyance répandue selon laquelle la photographie est un reflet fidèle de la réalité. Évidemment, l’appareil photo reproduit ce que l’on voit. Les images semblent ainsi offrir une vision objective du monde, ce qui renforce l’idée qu’elles sont le vecteur d’une vérité absolue. Cette perception est omniprésente, de la presse aux réseaux sociaux, où la photo est vue comme le témoin impartial de l’événement. Même depuis l’avènement de l‘Intelligence artificielle, cette opinion continue.

Cependant, la réalité derrière chaque photo est le résultat d’une série de choix subjectifs : le placement, le moment de déclenchement, les éléments à inclure ou à exclure du cadre, l’utilisation de la lumière, et l’angle de vue. Même les photographes qui s’efforcent de capturer la réalité de manière neutre sont confrontés à ces décisions. Ces choix, aussi minimes soient-ils, introduisent une dimension interprétative qui rend chaque cliché unique.

En plus de ces choix, l’outil que nous utilisons ajoute à cette subjectivité, l’appareil photo ne voit pas comme nous. Avez-vous déjà pensé à cela ? :

  • La plupart des appareils photo offrent la possibilité de changer de focale. On peut zoomer pour mieux voir un détail, mais aussi utiliser un très grand-angle pour obtenir un champ de vision élargi. En modulant la focale de l’appareil, la perspective est bouleversée. Cette modularité est inaccessible à la vision humaine – il est communément admis que si l’on devait faire une équivalence, notre vision « utile » correspondrait à une focale fixe d’à peu près 35 mm.
Lorsque j’observe ma fille en train de dessiner, je ne la vois pas de cette manière. C’est en utilisant un objectif avec une grande ouverture de diaphragme que je peux créer ce type de visuel avec une faible profondeur de champ.
50 mm, f/2,5, 1/1 000 s, 100 ISO

  • En photographie, nous pouvons assez facilement jouer avec la profondeur de champ. La première solution consiste à ouvrir le diaphragme de l’objectif : davantage de lumière atteindra le capteur, et le champ de netteté sera réduit. C’est une façon d’obtenir de beaux flous d’arrière-plan, souvent recherchés pour le portrait, par exemple. L’utilisation d’une focale longue accentue aussi cette sensation de flou : c’est ce que l’on appelle la compression des plans. Il est ainsi possible d’obtenir un arrière-plan tellement dilué qu’on n’identifie plus aucun détail. L’œil humain a, lui, tendance à avoir un maximum de netteté sur tout le champ visuel ; même si nous plaçons un objet tout près de nos yeux, nous percevons l’arrière-plan (il est moins net, mais nous le percevons).
  • Les capteurs numériques les plus performants voient mieux dans l’obscurité : pouvoir augmenter le paramètre de la sensibilité (ISO) permet de restituer des détails parfois invisibles à notre regard.
  • En situation de contre-jour, c’est l’inverse : il y aura très peu de nuances entre les hautes lumières (les blancs) et les tons sombres (les noirs). Il est donc assez délicat, même en travaillant avec un logiciel approprié, de retranscrire des détails dans les ombres. La dynamique de nos yeux est extraordinaire en situation de contre-jour : même face à une source de lumière importante comme le soleil, nous sommes capables de voir les détails dans les tons les plus sombres.
À contre-jour, nos yeux ont la faculté de voir beaucoup plus de détails que les appareils photo classiques. Mais nous pouvons utiliser les ombres pour créer des images intéressantes ; ici, j’ai choisi de mettre en valeur celles des arbres, qui s’étirent au coucher du soleil.
35 mm, f/8, 1/1 000 s, 200 ISO
  • Enfin, l’appareil peut enregistrer une photographie sur un laps de temps relativement long (en pose longue, plusieurs secondes, minutes ou même heures). Notre œil, qui bien sûr voit en temps réel, en est incapable.
Cette photo a été prise à l’aide d’un filtre neutre pour atténuer la lumière arrivant jusqu’au capteur et réaliser une pose longue. Les traits blancs au premier plan sont le reflet du soleil dans l’eau, ils sont produits par le mouvement de l’eau (la pose de 8  secondes permet à l’appareil de tout enregistrer).
24 mm, f/11, 8 s, 50 ISO

Loin d’être un simple miroir du monde, l’appareil photo est un outil puissant qui modèle notre vision de la réalité, chargé de choix artistiques et techniques qui peut transformer chaque cliché en une œuvre unique.

Mais qu’en pensez-vous ? La photographie est-elle, pour vous, une fenêtre fidèle sur le monde, ou plutôt un pinceau qui peint une version de la réalité filtrée par l’œil du photographe et son outil ? Vos expériences personnelles reflètent-elles cette idée que chaque photo est une interprétation plutôt qu’une reproduction exacte du réel ?

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