Au creux des montagnes, dans les lointaines régions où le soleil est rare et précieux, naquit un enfant à la peau brune et aux cheveux de couleur sable. Il était le dernier-né d’une famille de quatre enfants. Ses parents étaient bienveillants, mais leurs conditions de vie étaient modestes, c’est pourquoi l’enfant quitta bien vite l’école pour travailler aux champs avec sa famille.

Un soir, en rentrant du pâturage, il croisa la route d’un homme d’âge mûr à l’allure singulière. Intrigué par cet étranger, il lui demanda ce qu’il faisait ici et d’où il venait. L’homme lui expliqua qu’il était voyageur. Il avait fait une très longue route depuis la mer située au sud et il espérait pouvoir un jour voir la mer située au nord. L’enfant resta circonspect. Devant son regard interrogatif, le voyageur lui expliqua pourquoi voir la mer était une expérience si merveilleuse. Il lui raconta les vagues, les poissons, les oiseaux et le sable de la même teinte que ses cheveux. Il lui narra les coquillages, la lumière changeante selon le moment de la journée ou des saisons, et puis l’immensité. Il finit par dire que voir la mer était comme un enseignement et que ceux qui n’avaient pas connu cette chance étaient probablement incomplets dans leur être. L’enfant écouta patiemment et attentivement le magnifique récit du voyageur. Il avait été si éloquent que l’enfant n’eut désormais qu’une seule idée en tête : aller voir à son tour cette merveille.

Il en parla immédiatement à ses parents. Ces derniers pensèrent qu’il ne s’agissait là que d’une lubie juvénile. Personne dans la région où ils habitaient ne s’était aventuré assez loin pour voir les paysages décrits par le voyageur et ils avaient du mal à comprendre l’intérêt de l’enfant pour ces contrées inconnues. Il était cependant si insistant que les bons bergers finirent par lui dire qu’il était encore trop jeune et que lorsqu’il sera en âge de prendre ses propres décisions, il pourrait faire et accomplir ce que bon lui semble. Il fut alors satisfait et c’est ainsi qu’il apprit la patience.

Un vieil homme, habitant non loin de là, s’était pris d’affection pour l’enfant. Il aimait son innocence et la manière dont il mordait la vie avec optimisme. Un jour, un peu par hasard, le môme lui expliqua que son rêve était d’aller voir la grande bleue. Le vieillard lui dit qu’il n’avait jamais pu la voir lui-même, mais qu’il en avait une idée assez précise, car il en avait maintes fois lu des descriptions dans les livres qu’il avait accumulés au fil des années. Devant l’air intéressé de l’enfant, il l’emmena dans sa bibliothèque où les ouvrages s’accumulaient et prenaient la poussière sur les étagères. Le bambin savait à peine lire, mais il était doté d’une curiosité insatiable. C’est ainsi que le patriarche l’encouragea et lui prêta autant de livres qu’il le désirait. En attendant que les années s’écoulent, c’est dans ses lectures qu’il trouva des descriptions idylliques de ses fantasmes marins. Il lut plus de livres que tous les autres enfants de son village. Il apprit à laisser courir son imagination et à raconter à son tour des histoires. Il devint en conséquence fort instruit. Sa grande culture, qui contrastait avec son jeune âge, faisait l’admiration de la plupart des villageois.

Le jour de son dix-huitième anniversaire arriva enfin. L’enfant, devenu jeune homme n’avait jamais cessé de penser à la mer. Il dit adieu à ses parents et à ses frères, puis il s’en alla. Au moment de franchir le col qui surplombait la vallée de son enfance, son cœur se serra. Il pressentait qu’il ne reviendrait jamais en ce lieu qui l’avait vu naitre. Il resta là une heure ou deux à songer à ceux qu’il aimait. Entre deux sanglots il tourna finalement les talons et s’en alla vers son destin. C’est ainsi qu’il apprit la perte.

Il marcha pendant des mois. Parfois, il se passait des jours entiers sans qu’il ne puisse parler à personne. Il passa des moments difficiles, seul sur la route. Puis un jour, il arriva épuisé dans une grosse bourgade.

Il pensa y faire une pause quelques jours pour travailler et pouvoir ainsi financer le reste de son périple. Les villageois s’aperçurent rapidement qu’il était instruit. Ils disaient qu’il parlait « comme dans un livre » et beaucoup lui demandèrent de rédiger des lettres et des documents administratifs qu’ils étaient incapables de fournir. Le jeune homme devint donc écrivain public. On venait le voir pour toute sorte de requêtes. Même les plus riches  paysans du secteur venaient le solliciter.

Au bout de quelque temps, il était même connu pour prodiguer des conseils avisés. Il passait presque pour un devin, car on s’étonnait qu’un si jeune homme ait eu tant de connaissances. C’est ainsi qu’il acquit un statut important et en conséquence, son orgueil gonfla. Bientôt, il eut l’impression d’être devenu un homme d’influence et commença à considérer les autres comme s’ils étaient inférieurs à lui.

Un jour, le maire du village vint le consulter pour connaitre son avis sur la construction d’un pont qui devait traverser la vallée. Ce chantier, une fois terminé, devait grandement améliorer les conditions de vie des habitants de la région. Se sentant obligé d’imprimer sa patte sur l’ouvrage, il lui confia les plans d’un projet architectural dont il se souvenait vaguement avoir lu la description dans un livre. Lui faisant une confiance aveugle, l’élu suivit les conseils du jeune homme.

Malheureusement, en ce bas monde, personne ne possède le don du savoir universel. Le pont, une fois construit selon ses directives, s’écroula seulement quelques semaines après la fin des travaux. En quelques jours, il devint la risée de toute la vallée. Brutalement descendu de son piédestal, il fut chassé sans ménagement. C’est ainsi qu’il apprit l’humilité.

De la même manière dont il était arrivé au village, il en partit modestement quelques années plus tard. Il laissa tous ses biens matériels derrière lui et il reprit la marche en direction de la mer. Quelque chose avait changé cependant. Il était devenu un homme et avait gagné en sagesse. Au lieu de se précipiter comme il le faisait auparavant, il prenait le temps d’apprécier chaque moment vécu, chaque lieu traversé.

Un jour, alors qu’il traversait une rivière à gué, il entendit une musique enchanteresse. Intrigué par cette douce mélodie, il envisagea d’en trouver la source. C’était une jeune femme, prenant un bain matinal, qui chantait d’une voix cristalline. Une aura mystérieuse l’auréolait entièrement. Chacun de ses gestes était accompagné par la grâce. Son regard était d’un bleu profond, de cette couleur qu’il imaginait souvent en pensant à la mer. Il en tomba follement amoureux. La demoiselle n’était pas farouche et lui offrit son cœur sans résister. C’est ainsi qu’il apprit l’amour.

Le couple s’installa non loin des rives de la rivière où leur idylle était née. L’homme construisit une maison assez grande pour accueillir leur famille. Ils engendrèrent trois enfants qui avaient tous les cheveux de couleur sable et les yeux d’un bleu profond. La paternité combla de joie l’homme venu des montagnes. C’est ainsi qu’il apprit le bonheur.

Il en oublia son obsession maritime et il coula des jours heureux au bord de la rivière. Les années passèrent…

Il arriva le temps où l’envoutante aura de sa compagne s’éteignit. Elle avait été son seul amour et la seule raison pour laquelle il s’était installé en ce lieu. Comme ses enfants étaient partis vivre leur vie depuis longtemps déjà, le vieillard se souvint de son vieux rêve. Il abandonna une nouvelle fois tout ce qu’il lui restait et il reprit la marche vers le sud.

Il chemina pendant de longs mois. Plusieurs fois sa volonté vacilla. La route fut éprouvante. Elle consuma peu à peu les dernières forces de son corps. Alors qu’il sentait l’épuisement finalement le gagner, il sentit une odeur inconnue pour lui. Il s’agissait d’effluves salés et iodés qui ne pouvaient correspondre qu’à une seule chose. Au prix d’un ultime effort, au franchissement d’une dune, le spectacle grandiose s’offrit enfin à sa vue. De l’eau, rien que de l’eau sur des kilomètres, jusqu’à ce que le ciel vienne embrasser l’horizon. Du bleu, rien que du bleu sous toutes ses nuances se diluait dans son âme comme dans ses souvenirs. Il s’assit dans le sable et resta là en contemplation pendant des heures. Devant ce divin spectacle, il fut envahi par l’émotion et des larmes troublèrent sa vue. Il repensa aux paroles du voyageur et il les comprit pour la première fois de son existence. Il songea à la route, aux épreuves, à l’amour, à la vie.

Le but d’une vie n’a de sens que si le voyage a été vécu pleinement.

Il s’allongea dans le sable, serein…

C’est ainsi qu’il accueillit la mort comme une vieille amie.


5 commentaires

  1. Cher Denis, voilà un excellent récit du grand voyage! Merci de nous l’avoir confié. J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir cette fable fort élégamment construite. Si tu es encore en veine d’écrire, ce sera très agréable de te lire. L’idée des deux photographies qui encadrent le texte est très bonne.
    Bon courage pour la suite!

    1. Author

      Merci beaucoup pour ton commentaire Jean-Paul. J’ai quelques textes à partager. Cela suivra dans les prochains mois 😉

  2. Ah, le retour des contes 😉 Nous en avons discuté lors du Salon de la Photo 😉
    Un très beau récit et de sublimes photographies qui invitent au voyage, à la contemplation. Le minimalisme mis en avant et particulièrement pour la photo qui vient clore le conte. J’adore.

    1. Author

      Merci Corinne,
      Oui, en postant celui-ci, je pensais à notre conversation.
      Merci pour ton soutien.


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